Histoire :Callista est née et a vécu en Angleterre, seule avec sa mère durant toute sa petite enfance. La période était alors relativement instable pour son père, « jeune » démon âgé d’un peu plus de soixante ans. Chef de clan depuis peu, ses conseillers l’enjoignaient de songer à sa succession afin de stabiliser complètement les tensions qui régnaient. Si celui-ci alla dans leur sens en prenant épouse et maîtresses officielles, si la situation sembla s’apaiser grâce à ces nouvelles alliances, une donnée non-envisagée par les plus anciens vint toutefois s’ajouter au panorama. Lorsque son fils héritier naquit, la nouvelle de la future naissance d’une fille illégitime (non non, aucunement dans le cadre d’une alliance, mais celle d’une
sorcière, une
humaine), se répandait déjà. Si quelques uns émirent l’hypothèse que le jeune maître avait peut-être un plan derrière la tête (il avait toujours eu une certaine défiance vis-à-vis des plus anciens et restait pourtant anormalement docile ; il
devait préparer quelque chose), ce dernier ne se manifesta pas et ne prit aucune mesure particulière. On remit la question du futur de la fillette à plus tard.
Callista grandit donc avec sa mère, dans une campagne reculée. Ces années, paisibles et tranquilles, semblèrent être passées en un éclair lorsque l’on ordonna finalement que la petite reçoive une éducation parmi les démons. Les preuves de son ascendance étaient manifestes, mais restaient essentiellement physiques (ses cheveux, ses yeux, les transformations temporaires que l’on pouvait parfois observer sur ses bras) ; pour parer à toute éventualité, on la surveillerait ainsi de près. Depuis, les hypothèses s’étaient multipliées sur les raisons qui avaient poussé le père à isoler la fille (elle était d’une santé fragile, il l’avait accordé à la mère de la petite, il craignait pour sa sécurité et pensait qu’elle risquait d'être tuée par son épou... par son ex-épouse). Ce qui était jadis apparu comme une alternative litigieuse était maintenant considéré comme l’unique solution.
L’entrée dans cet univers se passa extrêmement mal. Callista était habitée par un malaise constant et ne supporta pas le dédain, la rigueur ou l’hostilité clairement déclarée qui lui faisait face. Les temps étaient sombres, marqués par de nombreuses disparitions inexpliquées, et les humeurs s’en faisaient ressentir. On s’obstina plusieurs mois avant d’établir que l’expérience avait été catastrophique (pour elle) et inutile.
Entre temps, Callista découvrit avec un enthousiasme mitigé sa famille. Si Chris (demi-frère de cinq ans son cadet) entretint très vite de très bons rapports avec elle (ou, du moins, ce qui s'en apparentait) et lui permit de se raccrocher à quelqu’un, la situation fut beaucoup plus délicate en ce qui concernait le fils héritier, Tora. Les brimades et, en retour, les crises de larmes de Callista se succédaient sans que les adultes daignent s’en mêler, croyant assister aux éclats d’une simple rivalité dans laquelle il valait mieux ne pas prendre parti, à défaut d’indication. La situation aurait pu rester figée si, un beau jour, les deux gamins n’avaient pas à leur tour disparu.
Quatre mois plus tard, Callista fut retrouvée. Elle raconta s’être enfuie d’un campement protégé par un champ de force après avoir inexplicablement réussi à passer cette protection. On remonta à la source, on comprit : une sous-branche du ministère de la magie avait entrepris de concentrer dans un même espace toutes les créatures de la nuit que ses membres attrapaient, visiblement dans un but génocidaire. La cohabitation était impossible ; prisonniers, forcés de survivre, les différentes races avaient commencé à s’entretuer. Les expéditions chargées de la libération marquèrent leur colère en massacrant le village sorcier le plus proche. On ne retrouva pas Tora. Ca n’est pas que Callista fut incapable de dire ce qui lui était arrivé : elle fut tout simplement incapable de se souvenir de lui. On craignit qu’elle ne tente de cacher une disparition qu’elle aurait elle-même fomentée, et les querelles reprirent sur la question de la succession. Pour couper court au début, Chris fut désigné comme le nouvel héritier. La faculté qu’avait montrée Callista de passer au travers des obstacles physiques ou magiques permit enfin de la classifier comme un demi-démon affilié à l'eau.
La jeune fille sembla, à première vue, ne pas considérer l’expérience comme traumatique. Ses souvenirs étaient flous, mais elle parlait avec soulagement plutôt qu’avec peur. Cependant, on s’aperçut rapidement qu’elle omettait de parler de certaines personnes, et ce sans aucune intention visible. Un bref examen indiqua que, sans doute par refus de la « mort », elle avait totalement rayé de sa mémoire les personnes disparues, niant jusqu'à leur existence passée, oubliant qu’ils avaient un jour vécus.
***
- C’est un ordre ?
Le bruit d’une page tournée plus lentement que les autres sembla lui répondre par l’affirmative.
- Je ne l’aime pas, protesta-t-il. Elle n’a aucune ambition, pas de perspective. Elle n’essaie même pas.
Un doigt resta en suspension au-dessus du livre, mais, non, ses yeux continuaient leur course folle à travers les lignes. Il ne lui jeta aucun regard (qu’il le regarde, qu’il le regarde maintenant, juste pour lui donner l’impression que son avis avait de l’importance ou pour confirmer que tout ceci faisait parti d’un projet plus global, que ça n’était pas un geste sans lendemain…), même s’il retrouva temporairement l’usage de la parole.
- Tu es pourtant déjà parvenu à supporter des personnes de ce genre, Silk.
Et Silk se tendit brusquement (sauter sur lui, le déchirer, faire disparaître cet insupportable ton de constat, le frapper jusqu’à ce qu’il se taise ou oublie) avant que son sens de la hiérarchie ne reprenne le dessus. Il le faisait volontairement, se rappela-t-il, il jouait avec lui et en avait parfaitement le droit (une voix à l’intérieur de sa tête transforma la phrase au pluriel, lui susurrant qu’il « jouait » peut-être, lui aussi). Il le provoquait et Silk répondait, c’était quelque chose d’admis et d’inchangeable, même si Silk n’aimait pas ça.
- Ne vous étonnez pas, si, un jour, votre tête se retrouve au bout d’un piquet. Vous ne pourrez pas éternellement traiter ainsi ceux qui vous servent.
- Et lorsque, après t’avoir crevé les yeux et coupé la langue, on t’arrachera la peau, centimètre par centimètre, continueras-tu à dire que je tiens mal ma maison ?
Pas une vraie menace ni même une invitation à la prudence, simplement une moquerie, une manière de le tester (rappelle-toi, rappelle-lui que la seule et unique personne à qui tu peux refuser d’obéir, c’est toi-même).
- Je ne comptais pas faire preuve d’insubordination.
- Bien.
Non, Silk ne protesterait pas, non, Silk ferait ce qu’on lui demandait, quoiqu’il arrive ; il résisterait, un peu, au début, presque par principe, pour rappeler qu’il avait le choix (menteur, ce que tu dis n’est qu’un mensonge de mensonge ?) avant de se taire définitivement et de considérer que la situation était en place depuis trop longtemps pour pouvoir essayer de la changer. Toujours le même mécanisme et jamais d’échappatoire possible.
- Vous êtes un ange, cracha-t-il.
- Pas d’insulte, vieil ami.
***
La possibilité que Callista parte vivre au milieu de sa famille paternelle fut exclue d’office. À la place, elle hérita de Silk et se prit d’affection pour lui, malgré ses remontrances, ses plaintes et ses désaccords constants. Elle retourna vivre avec sa mère, et, durant deux années, retrouva la sécurité et la chaleur dont elle avait besoin. Silk tenta de lui inculquer quelques bases sur l’histoire et les coutumes des démons mais n’y parvint pas, s’en énerva beaucoup et comprit rapidement qu’il n’arriverait probablement pas à lui servir de précepteur. Qu’à cela ne tienne, l’univers stable dans lequel elle se trouvait suffit à contenter la jeune fille.
Sans que Callista ne sache si la proposition émanait directement de son père ou d’une instance inférieure, on évoqua finalement l'idée qu’elle suive sa scolarité à Héméra. Lorsque la réouverture de l’école fut confirmée, sa mère trouva l’idée judicieuse, et, Callista, malgré la perspective de se séparer d’elle une nouvelle fois, accepta de s’y rendre.
Année forte en rencontres. Callista s’est relativement bien intégrée et a vite sympathisé avec des élèves, sans distinction de maison. Elle aime beaucoup le parc, mais redoute un peu les cachots depuis qu’elle s’y est perdue, une fois, avec Miako.Pas grand chose de bien intéressant cette année. Peut-être à cause des habitudes qui s’installent, elle recommence à avoir du mal à parler, même avec les élèves qu’elle « connaît bien . Cette tendance l’enferme dans un cercle vicieux qui menace de la couper des autres (elle n’arrive plus à aller vers eux, elle leur parle moins, hésite encore plus à aller vers eux, etc.)