Ennui.

Il était plus ou moins sûr que ce n’était pas là qu’il voulait aller à la base. D’un autre côté, il n’avait envie de se rendre nulle part. Alors autant rester ici. Et puis, c’était pas mal comme lieu. Il n’y avait pas de bruit et tout semblait figé, arrêté… Presque mort en fait. Finalement, il allait peut-être ressortir. De toute façon, il n’allait pas passer sa vie à fuir. A fuir quoi en plus ? Le destin ? Quelle bêtise.

Il se balada dans les rayonnages, à la recherche d’un livre sur… Oh il ne se souciait pas véritablement du sujet dans le fond. Il en prit donc un au hasard, qui traitait des démons supérieurs, avant de s’asseoir dans un fauteuil moelleux pour commencer sa lecture. Il aurait préféré être un démon qu’un Bivius. Au moins, il aurait eu quelques pouvoirs et moins de soucis au sujet de sa mort. Même si la hiérarchie démoniaque semblait être un brin complexe. Détail, encore et toujours. Il fit de son mieux pour rester accroché sur le bouquin, même s’il avait perdu l’habitude de porter de l’intérêt à quelque chose. Ca devenait de plus en plus dur.

Il soupira en tournant une page.

Edmund mit quelques instants, pour ne pas dire minutes, pour s’apercevoir qu’il y avait quelqu’un d’autre que lui dans sa pièce. En un sens, s’il arrivait à se concentrer assez pour occulter ce qui se passait autour de lui, c’était plutôt une bonne chose, ça prouvait qu’il avait encore des pensées propres. Ou bien, il avait juste de plus en plus de mal à faire attention à ce qui l’entourait. Ce qui était un brin plus problématique.

Son regard se posa, aussi discrètement que possible, sur l’adolescente en face de lui. Il n’aimait pas spécialement regarder les gens ainsi mais autant savoir à qui on avait à faire. Bon sang, il regrettait de porter son uniforme et pas son haut à capuche, au moins, il aurait pu se cacher, avoir une solution de fuite, face à cette personne. D’un autre côté, il ne souciait plus tellement de ce que pensaient les gens de lui.

« Salut. »

C’est ce qu’il pouvait faire de mieux visiblement. Encore ce ton un brin dénué de... Quoi que se soit. Ca ne changeait pas au moins. Et il reposa son regard vers son libre, se demandant bien comment les démons faisaient pour ne pas s’y perdre dans leur propre système. Bah, sans doute parce qu’ils avaient toujours vécu avec. La réponse était un peu trop évidente parfois.

"Salut". Un ton, même pas froid. Juste totalement neutre. Le garçon s'était aussitôt replongé dans son livre. Apparemment, elle n'avait pas l'air de le déranger. Elle n'avait pas l'air de l'intéresser plus que ça non plus...

Des yeux d'un vert irréel mais un regard quelque peu éteint.

Les cheveux blancs légers contrastaient avec ceux, noirs et en bataille, d'Araña. Son regard éteint avec ses yeux pétillants. Sa minceur fragile avec sa sveltesse musclée.

Il était retourné à son livre. Mais la politesse l'obligeait à le saluer en retour, hein?

"Bonjour ! Tu lis quoi?"

Un ton enjoué, un intérêt manifeste sur le visage. Une question amenant une réponse. Peut-être de quoi ramener une étincelle plus vivante dans son regard?

Elle s’intéressait à lui ? Etonnant. Enfin, à ce qu’il lisait plutôt. C’était logique, le livre devait sembler passionnant, vu qu’il ne l’avait presque pas quitté des yeux. Il la regarda, de nouveau. Pendant quelques secondes, il se demanda de quelle maison elle venait. Avant d’abandonner, ça ne l’intéressait pas finalement.

« Ca parle des démons supérieurs. »

Son regard, celui de l’adolescente, le captiva quelques secondes. Il n’était plus habitué à voir la vie autour de lui. C’était devenu si… Etrange. Il n’avait pas fait la conversation depuis pas mal de temps non plus. Enfin, échanger quelques phrases dans but si, mais jamais aller plus loin. Mais pourquoi engager quelque chose qui ne lui amènerait strictement rien…

« Et le tien ? »

Une certaine opposition. Son ton restait le même et son regard semblait regarder ce qui se trouvait autour de lui mais sans accrocher sur quoi que se soit. Finalement, il tourna une page de son bouquin tout en attendant une réponse. Il se recula un peu sur son fauteuil, comme pour mettre de la distance, s’éloigner.

Ce garçon était comme détaché de tout ! Même un hologramme pouvait paraître plus réel.

Ceci dit, il lui avait tout de même répondu, et avait même retourné la question.

"Ça parle des fëas. Des esprits qui peuvent prendre la forme d'un animal ou s'incarner dans un élément de la nature. Si j'ai bien compris. J'ai du mal à me concentrer quand je lis."

Peut-être que si elle arrivait un jour à la 2e partie du livre, celle qui concernait les légendes sur les fëas, elle arriverait à se concentrer un peu plus. Mais c'était mal parti. Alors qu'objectivement, c'était intéressant.

"Je t'ai encore jamais vu, tu es à Héméra depuis longtemps? Tu t'appelles comment?"

Elle commençait à connaître un peu de monde mais, objectivement, surtout dans sa propre maison. Elle supputa instinctivement que celui-ci n'était pas un Saevitia. Les Saevitia avaient l'air beaucoup plus... tangible.

Oh, le livre semblait plutôt intéressant. Enfin, tout autant qu’il pouvait l’être. Peut-être qu’Edmund pourrait le lire plus tard. L’avantage des bouquins étant qu’il pouvait les lire sans vraiment prêter attention à leur contenu et que ça passait le temps. Il se demandait parfois comment se serait, lorsqu’il aurait perdu tout goût pour la vie. D’un autre côté, vu ce qui lui restait… Elle avait du mal à se concentrer… Il pouvait comprendre, un peu. Mais ils avaient sans doute des raisons différentes après tout. Décidant de répondre par un simple clignement des yeux, ce qu’il fit d’ailleurs de manière presque involontaire, son attention fut en partie captée de nouveau par la suite des questions.

Là, il était plus à même de fournir une réponse. Il ne connaissait pas encore grand monde, pour ne pas dire presque personne, dans l’école donc c’était sans doute normal qu’on ne le connaisse pas.

« Depuis quelques mois… Je m’appelle Edmund Wings. Et toi ?»

Retourner les questions était d’une facilité déconcertante. Et au moins, il n’était pas impoli comme ça. Ayant terminé son chapitre, l’adolescent décida d’attendre un peu pour passer au suivant et leva son regard vers la jeune fille, pour attendre sa réponse.

« Tu es dans cette école pour quelle raison? »

Etrangement parlant, Edmund venait de poser une question par lui-même. Etonnant. D’un autre côté, savoir les raisons de la présence de cette personne l’aiderait peut-être pour son propre cas. Et puis, faire la conversation passait le temps.

Le garçon s'étant arrêté de lire un moment, Ruth quitta totalement son propre livre des yeux.
Elle avait la presque-confirmation que le bonhomme n'était pas à Saevitia, en tout cas.

"C'est drôle qu'on se soit pas encore croisés en quelques mois ! Enfin avec les changements de direction et tout ça, les cours étaient plutôt aléatoires.
Moi c'est Ruth. Ruth Kajal, mais en fait les gens m'appellent Araña. Et je préfère aussi."

Ah ! Le garçon - Edmund donc - semblait s'animer un peu. Et puis, rien que le fait qu'il pose son livre montrait qu'il s'intéressait un peu plus. Enfin, à elle. Elle savait pas trop si elle était plus intéressante qu'un livre.

La raison de sa présence dans l'école, un peu douloureuse au début du fait de la vie innocente qu'elle avait prise, lui sortait maintenant plus naturellement.

"Je suis une berserk. Dans ma famille on apprend à contrôler ça. Mais avec moi ça marche pas. Donc je suis ici. Et toi?"

Peut-être que la réponse expliquerait ses cheveux blancs. Et peut-être que son air éteint venait du fait que le fait d'être ce qu'il était était dur à supporter et le rendait dépressif?
Fière de sa conclusion, Ruth attendit la réponse. A elle de retourner les questions.

Araña, d’accord. Il nota le prénom, ou surnom, dans un coin de son esprit tout en posant le livre qu’il avait sur les genoux sur un meuble à côté de lui. Il irait le ranger après, ce n’était pas très important pour l’instant. Il était vrai que les cours avaient été un brin… Peu présents. D’ailleurs, l’adolescent n’avait pas été à un seul pour l’instant. Mais il savait que ça ne tarderait pas. Peut-être qu’il reverrait cette jeune fille dans certaines de ses options. Ou pas. Il verrait bien de toute façon. Berserk ? Il voyait très vaguement ce que ça devait être. Peut-être qu’il avait lu un livre sur le sujet ? Ou bien alors il confondait avec autre chose. C’était plutôt ça en fait. De toute manière, il ne s’en souciait pas. Ou alors tout autant que du reste. Le retour de question l’ennuya un peu et il soupira doucement avant de répondre tout en jouant avec une mèche de ses cheveux blancs, sans vraiment faire attention à son geste.

« C’est parce que je suis un Bivius, mi-mort, mi-vivant. On m’a envoyé ici pour que… Je vois des gens, je crois. »

Il allait mourir dans cent ans de toute manière, donc ce n’était pas la peine qu’il rencontre qui que se soit.

« Je ne ressens pas grand-chose. Moralement. »

Ajouta t-il alors, comme pour expliquer sa situation un peu mieux. Il n’ajouta rien, n’ayant plus rien à dire pour l’instant. Peut-être qu'il pourrait lui demander ce qu'était un Berserk... Plus tard.

Araña écarquilla légèrement les yeux. Ni mort ni vivant?

"Mais euh... tu es né comme ça? Comment on devient un... bivius?"

Il ne ressentait pas grand chose... Ça expliquait son oeil éteint.

"Et voir des gens c'est pour te faire ressentir quelque chose alors, justement? Mais dans ce cas, pourquoi tu restes dans cette bibliothèque? Autant aller vers les gens aussi !"

Les livres pouvaient faire ressentir beaucoup de choses. Mais pas ceux sur les démons supérieurs...

"Tu ne ressens même pas l'envie de ressentir?"

Dans ce cas, il s'était juste laissé passivement inscrire dans cette école mais... il s'en foutait?
Araña commençait à se demander qu'est-ce qu'elle pourrait bien lui faire faire pour qu'il ressente.

Avant ? Comment est-ce que c’était avant déjà ? Différent. Edmund ne se souciait plus tellement de ses souvenirs. Il les avait rangé dans un coin de son esprit dès qu’il avait commencé à perdre ses émotions. Après avoir cessé de se battre. Mais on ne pouvait rien contre la fatalité après tout. C’était évident.

« Je suis né humain. On se fait tuer par un autre Bivius. Par accident la plupart du temps. Enfin, pas tuer, juste… Blessé gravement. On pense qu’on va mourir. On ressent ça. »

Et puis finalement, on se retrouve à être un corps dénué de vie ou presque qui erre dans un lieu où il n’avait même pas envie d’aller. Fantastique. Aller vers les gens ? Pas son truc, merci bien. Edmund n’avait pas besoin de voir des gens, il avait juste besoin de rester tout seul, en paix, à attendre la mort. C’était plus simple et moins embêtant. Et non, il n’avait pas, ou plutôt plus, l’envie de ressentir. C’était comme ça, voilà tout. Il avait abandonné quelques années auparavant.

« Je ne veux pas spécialement voir des gens. Ca ne m’intéresse pas. »

Rien ne l’intéressait de toute façon.

« Non. »

Au moins, comme ça, il était clair. Oh, il n’était pas encore dénué totalement de sentiments en théorie, le processus était lent mais il l’accentuait et l’accélérait avec sa manie de vouloir croire que tout allait, de toute manière, mal se terminer.

Bon, il ne parlait que d'intérêt là. D'envie. Nouvelle tentative?

"Il y a rien qui te fait plaisir? T'as l'air d'aimer lire, non?"

Elle trouverait bien un moyen de le faire réagir, quitte à ce que ce soit pour qu'il sorte de ses gonds, na.

"Avant de devenir un bivius, t'avais pas de la famille, ou des trucs comme ça?"

Peut-être que ça faisait trop longtemps qu'il l'était. Quoique...

"Puisque tu es à Héméra, ça fait pas si longtemps que ça que tu es devenu bivius, non?"

Nouvelle question. Araña était très douée pour les avalanches de questions.

"Il y a bien des trucs que tu aimes?"

Elle avait posé ses coudes sur la table, son menton sur ses mains jointes, et regardait Edmund d'un regard toujours pétillant. Même si son attitude était voulue.

Il n’appréciait pas spécialement qu’on lui pose des questions comme ça. Ce qui prouvait que, dans le fond, il ressentait encore quelque chose. Mais ça, il n’était pas prêt de l’avouer. D’ailleurs, son ton, lorsqu’il répondit, ne changea aucunement.

« Je dois m’occuper. Alors je prend des livres au hasard et je les lis. Le temps est trop lent. »

Par contre, à la question suivante, quelque chose passa dans ses yeux. Pas de la peur ou de la colère, mais une sorte de nostalgie. Qui disparu bien vite. Il avait tenté de s’en souvenir, plusieurs fois, mais tout finissait toujours par être flou. Il savait qu’il avait eu une sœur, plus jeune, ou peut-être plus âgée… C’était tout. Des parents également, sans doute.

« Si, je crois. Je ne m’en souviens pas. »

Tout oublier de sa vie d’avant était plus simple, ça évitait de souffrir inutilement. Et puis, se raccrocher à des mémoires, c’était idiot.

« Trois ans, il me semble… »

Il n’était plus vraiment sûr. Peut-être que ça faisait un peu moins. Ou un peu plus. En tout cas, si ses cheveux étaient blancs, c’était au moins trois ans. Il ne savait. Beaucoup de questions et donc beaucoup de réponses à fournir. Heureusement que les questions étaient simples. Pourtant, la dernière le bloqua un brin. Il douta de ce qu’il pouvait dire alors, il se contenta d’un semi-mensonge. Pas parce qu’il voulait mentir, mais parce qu’il tentait de s’auto persuader.

« Le silence peut-être… Pas grand-chose. Pourquoi tant de questions ? »

La curiosité n'était-elle pas un vilain défaut?

Araña notait les détails, et notait les réactions d'Edmund.

Oui, elle pouvait être concentrée, quand elle se donnait elle-même un défi.
Et elle venait de s'en donner un.

Il sembla réagir un peu plus lorsqu'elle évoqua sa famille. Quelque chose à creuser par là? Il dit pourtant ne pas s'en souvenir. Étrange...

Trois ans, ça pouvait suffire à s'éteindre, surtout après être mort, oui. Araña avait déjà vu quelqu'un s'éteindre en moins de temps que ça. Bon, okay, ce quelqu'un avait tout une vie derrière lui ce qui lui coupait l'espoir... mais cet Edmund n'avait guère non plus de vie devant lui, à proprement parler.

Il aimait le silence? Était-ce une manière de lui dire de la fermer? Si c'était le cas, elle arrivait donc à lui faire ressentir un peu de choses ! Et si ce n'était pas le cas, eh bien il aimait réellement le silence, auquel cas le silence lui faisait assez ressentir aussi. HA ! Bon, c'était une maigre petite victoire. Mais tout de même.

Elle lui sourit.

"Je n'ai jamais rencontré quelqu'un comme toi. Tu m'intéresses. Tu n'aimes pas la musique, du coup?"

Cette demoiselle était un brin louche. On ne s’intéressait pas aux Bivius en théorie. La plupart des gens les trouvaient juste ennuyeux. Mais elle, visiblement, ça l’intéressait. D’un autre côté, tant qu’Edmund s’occupait, les détails ne lui importaient guère. Il écouta la question et répondit sans changer de ton.

« Non. C’est bruyant. »

Oui, ça c’était un peu évident. Si la musique était silencieuse, ça se serait. Edmund avait parfois des réponses un brin idiotes, mais il ne s’en rendait même pas compte. En tout cas, il se sentait vaguement plus à l’aise qu’au début de la discussion. Ca faisait longtemps qu’il n’avait pas parlé comme ça avec quelqu’un. Ruth était une compagnie plutôt intéressante. Même si l’adolescent avait du mal à apporter un intérêt réel à leur échange.

« Dis-moi, un Berserk, qu’est-ce exactement ? »

Inconsciemment, il tentait de faire perdurer la conversation, de ne pas la laisser se terminer en queue de poisson. Sans raison véritable d’ailleurs. Peut-être était-ce pour faire s’écouler le temps plus vite ?

"Tu aimes que le temps passe vite."

Déduction d'une phrase qu'il avait dite tout à l'heure. Il n'aimait pas profiter.

Une question moins simple que les précédentes franchit les lèvres d'Edmund.

"Un berserk, et bien... On en trouve beaucoup dans les légendes vikings"

Réponse absolument hors sujet. Mais ce n'était qu'une introduction.

"Un berserk, ou berserker, c'est quelqu'un qui, poussé par la pression ou la fièvre du combat, peut révéler une plus grande force, une insensibilité partielle ou totale à la douleur, moyennant quoi il est pris d'une rage de combattre difficile à contrôler. Ce contrôle est une partie de l'entrainement qu'on subit dans ma famille.
Il se trouve que dans ma famille, en plus, lorsqu'on est pris par le berserk, on change physiquement de forme. Il y a différentes formes de berserk. Moi, je deviens plus grande et massive, avec des yeux animaux, un peu félins à ce qu'on m'a dit, parce que ma préoccupation à ce moment n'est pas de me regarder dans une glace. Et avec des griffes. Et des dents. C'est pas spécialement romantique comme forme. Enfin ça doit dépendre des goûts."

Il avait posé la question. S'intéresserait-il à la réponse? Elle scruta son visage.

Il fut surprit lorsqu’elle déclara qu’il aimait que le temps aille vite. Lui-même n’avait vu les choses comme ça. Il n’avait jamais considéré qu’il souhaitait la vitesse mais plutôt que c’était trop lent. Edmund voyait le mauvais côté des choses, préférant dire qu’il n’aimait pas quelque chose plutôt que faire l’inverse.

« Peut-être. »

Ce n’était pas qu’il était sur la défensive mais plutôt qu’il trouvait étrange que cette personne tente de déterminer ses goûts alors que lui-même refusait de le faire. Est-ce que Ruth avait une idée derrière la tête ? Autre que la curiosité ? Il n’aimait pas vraiment ne pas le savoir mais il se garda bien de le montrer. Finalement, son opinion première au sujet du Berserk était bien totalement fausse. Il avait confondu avec autre chose. Edmund hocha légèrement la tête, prouvant qu’il avait bien écouté mais sans montrer un intérêt plus grand que pour les autres questions. Même s’il retiendrait les explications de Ruth. Il aurait aimé avoir un peu plus de curiosité au sujet de cette forme Berserk mais il n'arriva pas à s'auto-motiver pour en demander plus.

« Je vois. Si ce n’est cela, dans maison es-tu ? »

Et toujours ce besoin de continuer à bavarder, sans raison.

"Euh, à Saevitia. Mon oncle aussi est à Saevitia. Mais pas toi, non? Je ne t'ai jamais vu en salle commune."

Enfin, s'il ne cherchait pas à croiser des gens, peut-être restait-il dans son dortoir, celui des garçons. Alors, il pourrait être à Saevitia. Elle pourrait demander à Jaye. Quoique, d'ici là, Edmund aurait répondu. Il ne rechignait pas à répondre à ses questions. Finalement, il était très reposant.

"Donc, si tu aimes que le temps passe vite, est-ce que tu aimerais quelqu'un qui te ferait passer le temps vite?"

Une question bizarre, mais enfin, le garçon n'avait tellement pas de réactions qu'Araña se serait sentie de lui poser des questions bien plus choquantes. Tiens, c'était une idée ça. Même si dans un premier temps ça ne lui plaisait guère - il risquait de la trouver trop envahissante.

"Est-ce que tous les bivius ont les cheveux neigeux comme toi? Et des yeux aussi... euh... bleu-vert transparent ?"

Araña aimait bien la couleur de ses yeux, bien qu'ils fussent un peu vide. Avec ses cheveux blancs, ça lui donnait un air un peu innocent par dessus ses airs de fantômes.

Saevitia, la maison de ceux qui étaient vifs. Enfin à ce qu’il avait comprit. Et écouté également. Parce qu’il y avait des gens qui parlaient parfois des différences maisons mais il avait du mal à y apporter un quelconque intérêt. Cependant, le Bivius retint l’information sur sa camarade dans un coin de son esprit avant de répondre.

« Je suis à Coactus. »

Il ne prêtait pas une grande importance aux maisons où étaient les gens même si c’était utile pour avoir des informations sur le caractère des individus avec qui il conversait. D’ailleurs, si elle était vraiment chez les oranges, c’était bien ça leur couleur, ou peut-être était-ce le rouge, donc, si elle était à Saevitia, pourquoi est-elle si calme et en train de lui taper la conversation ? Ca ne devait pas être très intéressant. Par contre ça expliquait peut-être qu’elle lui demande si il voulait accélérer le temps. Abréger un siècle inutile ne lui paraissait pas une mauvaise chose, en effet. Edmund répondit donc par un simple hochement léger de la tête. Pourtant, est-ce qu’il ne voulait pas trouver un traitement à son cas avant ? Peut-être… Mais c’était compliqué et ça lui demanderait de l’attention. Et ce n’était pas ce qu’il avait le plus facilement.

Attrapant une de ses mèches blanches entre ses doigts, l’adolescent l’observa quelques secondes avant de la lâcher.

« Les cheveux oui. Ils deviennent de cette couleur au bout de trois ans après qu’on soit devenu Bivius et cela signifie qu’on ne peut plus vieillir. Les miens ne sont blancs comme ça que depuis quelques mois. Pour les yeux, non. C’est juste les miens qui sont ainsi. »

Il ne savait plus exactement si c'était étrange pour lui avant ou de qui il tenait ça mais ça ne voulait rien dire de toute manière. Même s'il n'avait encore jamais rencontré qui que se soit avec les mêmes yeux que les siens.

Araña aurait dû deviner tout de suite qu'il était à Coactus, vu son caractère passif. Si elle avait réfléchi. Étonnamment, réfléchir n'était pas trop dans ses habitudes.

"C'est bien que ce soit tes vrais yeux. Je veux dire, ce serait trop bizarre de se regarder dans la glace et de ne plus reconnaître son propre regard. Déjà les cheveux ça doit faire un peu bizarre, bien qu'ils soient beaux comme ça. Ils étaient de quelle couleur avant?"

La jeune berserk essaya de deviner. Bruns? Le contraste aurait été agréable avec sa peau claire mais... Elle penchait plutôt pour le châtain. Un châtain chaud et léger à la fois. Ou un blond, se rapprochant déjà de la pâleur qui dominait maintenant?

"Il y a d'autres choses qui ont changé, physiquement?"

Probablement pas. Après tout outre ses cheveux blancs, et la couleur particulière de ses yeux qui ne devait donc rien à sa race, Edmund paraissait parfaitement normal.

Araña fit taire ses pensées, attendant les réponses au lieu de les anticiper avec des suppositions hasardeuses. Quand ce n'était son corps, c'était son esprit qui ne tenait pas en place.

La question de Ruth provoqua un instant de doute chez Edmund. Juste quelques secondes durant lesquelles il se demanda comment étaient ses cheveux. Il ne pouvait pas déjà avoir oublié ça. La mémoire de son autre vie ne devait pas disparaître aussi rapidement. C’était impossible. Une lueur légèrement inquiète s’afficha dans les yeux verdâtres du garçon qui retrouva cependant assez vite son air calme habituel.

« Je ne sais plus. Châtains ou noirs sans doute… »

Edmund n’était pas un menteur de nature et trouver une autre vérité lui aurait demandé un trop grand effort. Il devait s’en ficher, ne pas laisser le peu d’émotions qu’il avait transparaître pour ne pas les perdre. C’était tout aussi logique qu’un malade qui garderait ses médicaments à côté de lui sans s’en servir. Cependant, le Bivius ne risquait pas de changer d’avis.

« Non, aucune autre chose. Sauf que j’ai cessé de grandir. »

Même si ça ce n’était pas très important. Il avait déjà presque terminé sa croissance avant de devenir ce qu’il était.

« Ma peau n’était peut-être pas si pâle avant mais je ne suis pas sûr… »

Tout était si flou à présent. Il avait l’impression de n’exister que depuis quelques mois. Un peu comme s'il avait eu une vie et qu'il était mort avant de renaître. Semblant soudainement se souvenir de quelque chose, il cligna les yeux avant d’ajouter doucement :

« Je peux traverser les murs. Enfin, pas encore vraiment. Mais mes mains peuvent passer au travers des objets, si je me concentre. Ca ne me sert pas beaucoup alors je préfère ne pas le faire. »

Ruth fut un peu déçue de la réponse imprécise du bivius. Pas moyen de vérifier sa théorie. Enfin, il avait dit la possibilité que ce soit châtain, aussi, comme elle était partie sur cette hypothèse-là, l'admit-elle comme une vérité. Cela n'avait guère de conséquence, de toute manière. Des cheveux châtains, ça aurait été mignon, mais cette couleur blanche et aérienne l'était aussi. (1)

Elle écarquilla légèrement les yeux quand il mentionna cette capacité à traverser les objets. Quelque part, ça ne manquait pas de logique, s'il était à demi-mort, il devait être en quelque sort à moitié fantôme... Même si ça ne collait pas tout à fait parce que l'âme n'était là pas séparée du corps.

"Woaw... et si tu perds ta concentration au milieu d'un mur?"

Prise une autre idée, elle tendit la main, son livre à présent posé sur la tranche sans retenir de page particulière.

"Tu... Ta main pourrait traverser la mienne?"

Araña se demanda si elle ressentirait quelque chose, si c'était le cas. Une sensation de froid? De chaud? Un souffle d'air? Une résistance?


(1) à noter que Ruth s'intéresse à l'esthétique comme une esthète, mais ne s'intéresse pas spécialement au garçon comme une fille s'intéresse à un garçon.

Pour être tout à fait franc, Edmund n’avait pas beaucoup essayé son pouvoir. Surtout lorsque une de ses camarades Bivius avait eu la bonne idée de lui raconter comment est-ce qu’elle avait manqué de perdre ses doigts à quelques reprises. Cependant, il ne préférait pas y repenser. Ce qui ne l’empêcha pas de répondre honnêtement à la question posée.

« Je présume que je pourrai dire au revoir à mes doigts. »

Il observa la main de Ruth qui souhaitait visiblement une démonstration de sa capacité. Les yeux peu expressifs du garçon clignèrent de nouveau tandis qu’il hésitait d’une manière plutôt visible. Techniquement parlant, il était en mesure de faire ce qu’elle lui proposait. Mais en pratique, il n’était pas si sûr que ça de pouvoir réussir. Cependant, ce disant que s’il ne le faisait que quelques secondes ça irait, il tandis à son tour sa main, lentement.

« Je veux bien essayer. Ne bouge pas, s’il te plaît. Sinon je ne suis pas sûr que je pourrai maintenir ma concentration. »

Le Bivius ne s’entraînait généralement, les rares fois où il le faisait, sur des objets dénués de vie, tout du moins à sa connaissance, et ça allait être son premier test sur un autre être humain. Edmund afficha une expression de concentration mêlée au calme qu’il était forcé d’avoir et ses doigts se posèrent contre ceux de la demoiselle. Au début rien ne se passa puis la main du garçon sembla devenir transparente et sa main passa doucement à travers celle de Ruth. Comme il n’avait jamais essayé ça sur une personne, il ne pouvait pas savoir ce qu’elle ressentait, même si ça devait sans doute lui faire comme un courant froid ou quelque chose du genre. Sentant qu’il perdait sa concentration au bout d’une trentaine de secondes, l’adolescent retira sa main d’un geste étrangement brusque sur sa personne avant d’observer ses doigts qui redevinrent lentement solides. Il les bougea, comme pour vérifier qu’ils étaient encore présents, avant de tourner son regard vers Ruth.

« Je… Je ne peux pas le faire plus longtemps. »

Araña eut les yeux brillants d'excitation lorsque le bivius accepta. Si Edmund pouvait perdre ses doigts, il y avait de grandes chances que l'expérience présente le même danger pour elle. La jeune fille avait parfois des amusements bizarre.

Suivant l'injonction d'Edmund, elle se figea autant qu'elle le pouvait, les yeux fixés sur les deux mains. Celle d'Edmund se posa, tangible pour le moment, sur celle de Ruth et elle fut surprise par le contact agréablement frais de la peau du garçon. Plus frais que la température de l'air aujourd'hui. Elle se demanda s'il avait d'autant plus chaud. Elle lui poserait la question après.

Puis la main d'Edmund devint transparente, fantomatique - c'était le cas de le dire - et s'enfonça dans celle d'Araña. Ça lui faisait des picotements dans les doigts. Pas désagréable mais très étrange.
Au bout d'un moment, le bivius rompit la fascination d'Araña en retirant brusquement sa main.

La jeune Kajal plia et déplia plusieurs fois les doigts, son regard passant et repassant de la main d'Edmund à la sienne.

"Ça suffit pour passer un mur, si on lambine pas. Enfin, et s'il n'y avait pas que la main. Ça fait des fourmis."

Ruth avait entendu l'hésitation dans la dernière phrase d'Edmund. Etait-ce un ton d'excuse? Ou d'inquiétude? Ça contrastait un peu avec le calme parfait qu'il avait depuis le début de cette conversation. Etait-il mal à l'aise avec son super-pouvoir de fantôme?